Comme beaucoup d’amateurs d’images, je me suis essayé au genre du « film de vacances ». Au fil des expériences, j’ai observé une certaine passivité des spectateurs. Sans doute la linéarité du « récit vidéo » explique-t-elle cette réaction. Sans doute aussi certaines personnes sont simplement maladroites et ne se rendent pas compte que vous y avez mis tout votre coeur, toute votre ardeur.

Un « ami » un peu trop franc du collier m’avait même dit un jour en rigolant : mais on s’en fout de tes films ! Ce n’était sans doute pas un camarade très charitable, je débutais et il n’avait pas compris que c’était devenu un moyen de partage, bien avant Facebook, et un test pour mesurer l’impact de mes images sur des spectateurs, fussent-ils des amis….  Mais il existe surtout je crois une inadéquation entre un public « familial » et l’histoire que vous tentez de raconter. Là où vos spectateurs attendent de passer un bon moment à déguster des tranches de vie poilantes de vos vacances, voire des moments spectaculaires, vous leur servez un film documenté, « sérieux », avec le regard sur un pays que vos spectateurs ne connaissent pas.

J’ai tenté parfois d’intégrer le voyageur que je suis dans mon voyage, en technique d’auto-filmage ou en filmant ma compagne. Mais je suis vite resté sur ma faim devant les réactions désarmantes des spectateurs : les commentaires ont varié, allant de « bon, ben, je vais mettre mon poulet au four », en passant par « t’as vu la dernière interview politique de X ? » (ça n’avait aucun rapport avec le film mais celui qui faisait la réflexion avait l’esprit en escalier !) jusqu’à « c’est quoi votre prochain voyage ? » (pourquoi toujours parler du futur alors qu’on que le montage prouve qu’on s’attache à l’événement passé)… Et souvent, très souvent, les gens n’ont tout simplement rien ou pas grand chose à dire après un film… A la limite, j’aimerais qu’ils critiquent, qu’ils posent des questions (par forcément technique)…  L’indifférence est la pire des réactions pour un imagier… Je me suis surtout rendu compte qu’un montage prend tant de temps qu’il faut s’assurer de l’intérêt du public avec lequel on veut le partager.

Cette réflexion (très !) progressive m’a pris au moins 15 ans (!), mais m’a conduit, plutôt que de renier mes convictions, à ne pas m’obstiner à montrer des films qui ne correspondent pas à l’attente du public familial / amis, et qui me plongent après coup dans une déception noire. J’ai préféré finalement faire des films d’abord pour soi, ou pour ceux directement impliqués dans l’aventure. Désormais, je n’imposerai à personne de voir mes films, le public les verrait uniquement par une démarche volontaire : la diffusion sur le Web répondait à cette idée puisque le spectateur potentiel reste libre de voir ou de ne pas voir un film. Il peut même s’arrêter quand il veut ! Et reprendre plus tard. Ou pas. Et il n’a pas de lien familial. 

Seulement voilà, il faut trouver de bonnes idées, pas trop longues, car sur le Web, dépasser 20 minutes, c’est risqué…

Alors justement, je vous propose une idée pour vous extraire de la masse. Il s’agit de construire son film en s’appuyant sur un ouvrage littéraire, c’est ce que j’ai appelé la technique du vidéo-roman. J’ai appliqué avec délectation cette idée lors d’un voyage sur le sol indien. Suivez le « guide »… si ça vous dit.

C’est ainsi que j’ai élaboré le film Inspirations à Kolkata que vous pouvez découvrir sur cette page. Il s’agit d’un reportage sur la mégalopole Kolkata en Inde. J’ai construit la vidéo à partir d’extraits tirés d’un ouvrage – « Fantômes à Calcutta » (*) – utilisés comme fil conducteur des images. J’ai poussé le bouchon jusqu’à me servir des extraits comme voix off du film, moyennant l’autorisation de l’auteur, sans quoi je ne pourrai pas vous les livrer en pâture ainsi. Le résultat a donné naissance à ce petit documentaire d’un quinzaine de minutes.

Il en résulte une vidéo que je pense originale à défaut d’être totalement réussie, mais le travail de montage est plus ardu qu’avec un film classique. Aussi voici mes conseils pour y parvenir :

(*) Fantômes à Calcutta, édité par Arléa, est un livre écrit par Sébastien Ortiz qui a travaillé à Calcutta , à plusieurs années d’intervalle en tant qu’attaché consulaire puis Consul. Les images d’introduction sont tirées de la série « En analyse », (HBO), reproduites ici au titre du droit de Citation.

Première étape

La première phase de cette aventure vidéographique consiste à dénicher un ouvrage qui décrit la ville visitée. Simple ? Oui et non. Oui s’il s’agit de Paris, Barcelone ou Tokyo. Moins facile si vous cherchez un ouvrag en français sur Madurai en Inde ! Par exemple, pour la ville d’Hanoi, j’ai éprouvé des difficultés pour dégoter un ouvrage en français, malgré le passé riche et tumultueux des troupes françaises dans cette ville…

Mais j’ai conclu que cet exercice de style est transposable à d’autres villes, et même peut-être à d’autres sites  (une région, une île, un lieu religieux, etc.). De quoi enrichir une vidéo grâce à l’apport du récit écrit.

Si vous êtes courageux ou très savant, l’extension de vos recherches aux livres en langue anglaise (ou espagnole si le pays s’y prête) élargira considérablement le spectre. Mais à moins d’être bilingue, on se limitera au français pour un usage amateur. En français, distinguez deux cas. Pour fantômes à Calcutta la recherche était presque facile puisque c’est la saisie du terme « Calcutta » qui nous a conduit à l’ouvrage dont il est question. Mais saisir le nom du lieu peut ne pas suffire si le titre n’intègre pas ce nom, cas plus fréquent qu’on ne croit ! Il faut donc bien chercher en utilisant des requêtes. Voir à ce sujet cet article expliquant la manière d’utiliser efficacement les moteurs de recherche.

Deuxième étape

La seconde étape est de vérifier que l’ouvrage contient des descriptions.

Ce point a son importance car plus le descriptif sera multiple et détaillé, plus vos images pourront se synchroniser au récit. Les ouvrages descriptifs sont généralement rédigés par des personnes qui ont vécu sur place. Leur regard peut vous servir de guide, à la manière d’un guide touristique.

Mais comment deviner à l’avance si l’ouvrage comportera des descriptions suffisantes ? Pour cela, on peut se référer au résumé de la maison d’édition, ou en consultant l’ouvrage dans une grande librairie (si l’ouvrage est spécialisé). Sur le Web, les éditeurs proposent à présent des extraits dématérialisés en pdf. On se forge ainsi une première opinion.

Troisième étape

3) La 3e étape est de trouver les lieux qui sont cités dans l’ouvrage. Vous n’aurez guèr de difficultés si les lieux sont réputés ou touristiques, mais parfois il s’agit de lieux plus méconnus : dans ce cas, la lecture de l’ouvrage vous les fera découvrir, et Google Map fera le reste… 🙂

Vous êtes enfin « sur place » ? Très bien, vous pouvez filmer ! Le succès de la transposition entre les écrits du romancier et vos séquences va dépendre de la nature du lieu, son degré de préservation (les lieux peuvent s’être métamorphosés), les facilités d’accès (si le lieu est trop loin) et les impondérables (le lieu est interdit aux visites ou introuvable). Ainsi le temple Meenakshi, chef d’oeuvre de l’art dravidien que j’avais imaginé capter sous toutes ses coutures, était recouvert de bâches en vue d’une rénovation « monumentale » !

Quatrième étape

La quatrième étape, la dernière en théorie, est d’insérer votre voix off sur la plupart des scènes de votre film. La qualité littéraire du livre devrait vous le permettre. Il y a de fortes probabilités que le texte et les images s’accordent bien dans la mesure où le livre vous aura servi de guide visuel. Ainsi le cimetière filmé dans Inspiration à Kolkata était identique à ce que l’auteur avait décrit dans son style à lui. J’ai juxtaposé mes images avec facilité sur les images mentales du romancier.

Toutefois je ne veux pas enjoliver la réalité, l’exercice n’a pas été de tout repos. Des idées sont venues après avoir filmé mais je ne les avais pas en boite ou pas tout à fait. Ainsi la description d’un mendiant que Sébastien Ortiz avait faite s’avérait difficile à illustrer, car je me souvenais avoir pris le parti de ne filmer aucun mendiant de face, de façon insistante. Mais en revisionnant mes images, j’ai découvert un mendiant qui ne faisait que passer rapidement devant mon objectif. En ralentissant la scène, je pouvais coller aux propos de l’auteur. 🙂

Pour autant, vous ne devez pas vous sentir obligé de coller vos images au texte avec systématisme, et cela simplifiera l’exercice. Des images peuvent se rapporter vaguement aux propos de l’auteur. Au début de la vidéo, j’évoque ainsi l’histoire de la création du nom Kolkata en superposant un travelling marché effctué dans les rues de Kolkata. Seul heureux hasard, je me dirige réellement vrs le fleuve Hooghly dont il est question dans l’histoire de la création de la ville…

Enfin, si vous diffusez votre film hors du cercle privé, les droits d’auteur doivent être bien évidemment respectés. Je vous conseille de solliciter l’auteur ou l’éditeur, les refus sont rarissimes, mais l’acceptation peut nécessiter un certain délai, alors anticipez très en amont. A bon entendeur…