L‘afflux touristique massif que vit notre belle planète bleue est devenu une préoccupation majeure. Le phénomène est si marqué qu’il a hérité d’un néologisme peu élogieux : le surtourisme. Cette augmentation est à la fois due à la démocratisation du tourisme (69 millions de touristes dans les années 60, 1.235 milliards en 2018, 1,4 milliard pour bientôt  !), le développement des compagnies low cost, et à la concentration de masses de touristes non régulées sur certains spots. L’avènement d’une classe moyenne et supérieure dans certains pays à très forte densité de population comme la Chine ou l’Inde, apporte aussi une nouvelle clientèle touristique qui vient grossir les rangs du Tourisme. Ajoutez les réseaux sociaux, et certaines séries télévisées (!!) indirectement responsables de l’attrait frénétique pour certains lieux. Saupoudrez le tout avec les prévisions des experts qui font état de 1,8 milliards de touristes à l’horizon 2030, et vous avez tous les clignotants rouges qui s’allument à la fois.

Le surtourisme a même connu récemment une dérive inattendue en altitude. Une photo a marqué les esprits, elle résume tout : celle de l’Ascension de l’Everest et de ce long serpent de mer constitué d’alpinistes et de leurs sherpas attendant leur tour pour monter au sommet (près de 400 dans ce cas !). On pourrait en rire, si ce n’est qu’en plus, certains en sont morts. Vision dingue – et vision de doux-dingues  – mais dont la réalité s’explique quand on connaît les contraintes des conditions dans lesquelles on peut atteindre le sommet de l’Everest.

Si pour le photographe, le surtourisme peut vite devenir un enfer à force que des touristes masquent l’objectif ou ternissent la beauté et la tranquillité d’un lieu, le problème concerne au premier chef les peuples locaux qui voient leur environnement dénaturé, ou la nature qui peut souffrir d’une détérioration du lieu. On peut objecter que le tourisme de masse reste un concept subjectif selon les individus. Certes, il n’existe pas de règle, de seuil statistique à partir duquel on peut considérer que l’afflux touristique est trop important. Vous me rétorquerez que « ça se voit » immédiatement. Mais certains touristes sont plus allergiques que d’autres au phénomène de masse, avec un seuil de tolérance très bas ou très haut. Par contre, le photographe-touriste est par nature plus sensible car une plus grande fréquentation touristique signifie pour lui plus de surveillance du matériel photo (choc, vol…), plus de gêne (visuelle) et beaucoup moins de « zénitude » à shooter ses photos. Pour le vidéaste, c’est même pire car il enregistre les voix des gens alentours. Et les commentaires sont souvent peu intéressants et (involontairement) intrusifs.

© voyageons-autrement – à l’initiative d’étudiants français en tourisme, supervisé par Florie Thielin.

Mais tentons d’abord de faire un état des lieux du surtourisme au niveau mondial. Pour nous aider, le site voyageons-autrement a dressé une carte mondiale (non-exhaustive) datant de décembre 2018 (voir carte). Cette carte liste les destinations souffrant de surfréquentation touristique, à des intensités variables. Plusieurs sites sont maintenant connus pour générer un afflux touristique majeur dans des zones géographiquement sensibles où la nature commence à en subir les conséquences : y figurent la Baie d’Halong au Vietnam, le Machu Picchu au Pérou, le Parc Yellowstone, Bali (certains endroits), l’île Maurice, Bora cai aux Philippines, ou certaines plages de Thaïlande comme la célèbre plage de Bai Maya immortalisée par le film La Plage avec Leonardo di Caprio et Virginie Ledoyen. Certains de ses sites sont d’ailleurs désormais fermés ou les autorités ont mis en place une forte régulation. Récemment la décision a été prise de fermer l’Île de Komodo (Labuan Bajo) à partir de janvier 2020, les varans recevant bien trop de visiteurs et pour des raisons liées au trafic de varans ! Pour quelques spots que les autorités préservent (comme les Galapagos ou certains archipels des Philippines), combien restent encore envahis, sans la moindre régulation, la sauvegarde du lieu passant après les considérations économiques mercantiles ?

De nombreuses villes souffrent aussi de surfréquentation touristique, particulièrement en Europe : c’est le cas de Lisbonne, Venise, Rome, Porto ou Capri. Idem pour Dubrovnik, dont la vieille ville des Balkans parvient de plus en plus difficilement à absorber le flux de visiteurs journaliers. Et que dire de Majorque où les croisiéristes sont indirectement responsables d’un énorme afflux de visiteurs d’un seul coup, jusqu’à 4000 par bateau, et souvent il y a en a plusieurs dans une même journée !

D’après un sondage commandé par Comptoir des Voyages, 63% des Français interrogés seraient prêts à renoncer à visiter un site majeur s’il est surfréquenté. Et les touristes ne sont pas les seuls à vouloir changer leur comportement :  certains quartiers de villes européennes n’en peuvent plus. Leurs habitants se mettent à ressentir des sentiments de tourismophobie, la surfréquentation étant devenue massive, avec d’incessants convois de valises à roulettes, attisée par des propriétaires qui préfèrent louer leur appartement sur AirB&B. Mais certaines villes à l’extérieur de l’Europe ne sont pas épargnées non plus comme Marrakech, le Caire, ou Ventiane. 

Enfin parfois, ce sont les monuments visités en eux-mêmes qui souffrent d’un trop grand afflux touristique : le Taj Mahal ou le temple d’Angkor, sont d’ailleurs tous deux recensés par le site voyageons-autrement.com comme victimes de leur succès. Le temple d’Angkor est peut-être le pire, même au soleil levant. Il faut dire qu’il accueille 5 millions de touristes / an (c’est autant que le tourisme en Iran dans sa globalité !) et que les prévisionnistes font état de 10 millions de touristes à l’horizon 2025 !

Les stratégies pour surmonter le tourisme de masse

Les conseils qui suivent s’adressent avant tout au touriste photographe mais de façon plus large, ils peuvent s’appliquer à tout touriste dans l’âme. Je vous décris des solutions à la fois de bon sens et des recommandations parfois radicales. Mais elles sont souvent payantes. Je ne vous demande pas forcément de faire comme moi car mon seuil de tolérance étant très bas, j’en viens souvent à radicaliser mes choix. Je dis simplement que ces solutions fonctionnent, car je les ai exprimentées de nombreuses fois, dans des pays différents à des époques différentes, y compris récemment. Je les ai fait évoluer avec le temps car la situation du tourisme d’il y a 20 ans n’est plus celle d’aujourd’hui.

Le premier « truc » de bon sens, bien connu des voyageurs photographes, est de partir hors saison, car les vacances des occidentaux tombent souvent aux mêmes moments et certaines périodes de l’année concentrent même des touristes de différents continents (la fin de l’année par exemple). En moyenne saison ou basse saison, le risque de pluie ou de températures moins clémentes est réel. Mais les inconvénients ne sont pas systématiques, les seules périodes vraiment insurmontables sont celles des pics de moussons. De plus, le hors saison a un avantage économique certain : le prix des hôtels sur place comme celui des prestations est moindre (parfois jusqu’à -30 à -70%), le tarif du billet d’avion peut s’avérer aussi plus léger.

Si votre but est avant tout de faire des photos, vous pouvez tenter d’écarter les pays dont la fréquentation touristique est en très forte augmentation touristique ou qui saturent. Le sud de la Thaïlande, Malte, Le Sri Lanka, l’Islande, le Myanmar, la Croatie, le Vietnam, sont des destinations en très forte augmentation ces dernières années. 

Attardez-vous au contraire sur des pays moins fréquentés. J’ai trouvé une carte intéressante des 100 pays les moins visités. La carte date de 2013 mais elle donne une bonne tendance. A titre personnel, je me suis rendu 1 fois au Sénégal, 2 fois en Iran et 2 fois sur l’île de Sumatra, trois territoires qui ont une fréquentation touristique raisonnable, en tout cas vraiment supportable, hormis quelques rares points chauds (Ispahan en Iran, la Casamance au Sénégal).  

Autre aspect, les lieux recommandés par le guide Lonely Planet sont statistiquement plus fréquentés que ceux du Guide du Routard, lorsque ce dernier évoque des endroits qu’il est le seul à décrire. La raison tient au caractère international du « Lonely », en langue anglaise, 100 fois plus lu.  

Vous avez jeté votre dévolu sur un pays ? Très bien. Rien ne vous oblige à fréquenter des lieux très connus de ce pays, c’est la méthode la plus radicale, la plus crève-coeur parfois, mais la plus efficace. Un pays regorge de mille richesses, mille trésors, mille paysages, sans aller obligatoirement là où les guides vous disent d’aller. Ainsi lors d’un voyage à Hanoi, je me suis dispensé d’aller dans la célèbre baie d’Halong, pourtant distante de seulement 4 heures de route et pour laquelle les propositions des tours-operators pleuvaient. La raison : en période de pointe (j’y étais à Noël) c’est 15000 visiteurs / jour et leurs bateaux polluants ! Un charme qui tombe et une nuisance pour l’environnement à laquelle je n’avais absolument pas envie de contribuer. J’ai donc préféré visiter plus en profondeur Hanoi, cette magnifique ville du Nord du Vietnam et arpenter ses environs. J’ai ainsi visité à 35 kms d’Hanoi un temple merveilleux en pleine nature, recommandé dans le Routard dans lequel j’ai rencontré en tout et pour tout… 3 touristes. Ironie du sort, ce lieu (que j’espère toujours préservé) avait servi de décor au film de Régis Wargnier, Indochine… tout comme la baie d’Halong sur laquelle j’avais fait l’impasse.

Une autre stratégie payante – si la défense de la planète et des populations locales est votre préoccupation – est de préférer un moyen de transport écologique plutôt que son contraire. En 2008, déjà préoccupé par le sort des canaux du Kerala (les Backwaters), nous avons opté pour un canot à rames plutôt que pour une maison flottante (un kettuvalam) qui est splendide mais équipée d’un moteur et qui occasionne des rejets variés (on habite le bateau), ce qui pollue les Backwaters.

Mon canot n’a pas été difficile à trouver, il était proposé par les propriétaires de la petite maison où nous logions. Il a donné du travail à un guide local et il a été en réalité plus facile de parcourir les canaux car seul le bateau à rames passait sous des ponts ou dans des canaux très étroits. Double bénéfice par conséquent ! Alors certes, un cuisinier ne nous préparait pas la cuisine à bord mais c’était vraiment tout aussi bien. Côté photos, la lenteur de l’embarcation et le fait de pouvoir s’arrêter à tout moment, ont permis de saisir de très bonnes prises de vues. J’ai aussi filmé, or le bruit d’une rame régulière, je peux vous assurer que c’est plus poétique qu’un bruit de moteur continuel.  

Dans bien des pays, je marche plutôt que de prendre un taxi ou pire, un 4×4 climatisé pour touriste. Pour le photographe, marcher est idéal, il peut s’arrêter quand il veut, rester aussi longtemps qu’il le veut, changer d’angle, bref tout ce qui n’est pas possible depuis une voiture l’est en marche à pied. En plus, c’est bon pour la ligne et le moral ! Marcher n’interdit pas dans les grandes métropoles de prendre le métro. J’ai emprunté plusieurs fois celui de Kolkata qui me déposait au centre-ville et depuis ce point, je pouvais arpenter les rues du centre. J’avais eu une discussion surréaliste avec un touriste indien circulant à bord d’un gros 4×4. Voyant que je circulais à bord d’une Ambassador, cette voiture blanche stylée d’un autre temps et peu commode, il s »est esclaffé de ce choix car une Ambassador lui semblait bien moins confortable et rapide que son 4×4 ! Un peu comme si j’avais préféré rouler avec une deux-chevaux.  

Enfin, j’ai systématiquement remarqué qu’à côté de sites prestigieux où les touristes s’entassaient, apportés telles des grappes par les tour-operators, il existait des sites un peu moins intéressants mais beaucoup moins fréquentés, voire déserts. Je l’ai constaté de façon répétée, quel que soit l’endroit du monde. Voici quelques exemples : 

-Dans certains pays comme la Thaïlande, un fait est intangible : les touristes se concentrent sur 10 à 20% du territoire (en gros les plages et îles du Sud après un passage par Bangkok). J’ai été frappé par la désertion quasi totale dans le reste du pays, hormis quelques endroits touristiques connus comme le pont de la rivière Kwai. Je suis allé à Ubon Ratchathani, une ville tranquille de 100.000 habitants où la concentration touristique est 1000 fois moins forte que sur les plages et îles du Sud. Alors certes, c’est l’intérieur du pays. Mais outre la ville, paisible et intéressante, le Mékong n’est pas très loin en moyens de transports locaux et c’est une découverte qui vaut le détour

-Les temples d’Angkor Wat, de Bayon et Ta Prohm sont surfréquentés. Mais la civilisation Khmer qui a construit ces temples très visités a édifié également d’autres temples moins connus dans toute la région. Il s’agit par exemple des temples Banteay Samré, Pre Roup, Ta Keo, Thommanon ou encore Chau Say Tevoda. La liste est longue et non-exhaustive. Et ces temples valent également le détour, même s’ils sont moins spectaculaires et moins grands qu’Angkor Wat ! Ainsi le photographe que vous êtes pourra « mitrailler » en minimisant le risque que les statues soient masquées par des visages pâles en shorts et casquettes. 

-Même à côté de la Baie d’Halong existe deux baies bien moins fréquentées et presque aussi belles : il s’agit des baies de Lan Ha et de Bai Tu long. 

-À Bali, il a fallu ruser pour ne jamais se sentir dans un rapport touristique agressif, cas malheureusement fréquent sur l’île, notamment autour de certains temples comme le temple Besakih ou les cascades de Git Git. Nous avons ainsi migré vers la côte Ouest, l’une des moins fréquentées, évitant également les plages bondées et déjantées du sud. Nous avons snobé les temples trop fréquentés car ils attirent trop de « mafia » locale qui voient les touristes comme des vaches à lait.

-Pour le Machu Picchu, trouver des sites parallèles (bien) moins fréquentés est impossible sans choisir le trek. L’astuce est de réaliser le trek du Choquequirao en solitaire ou en agence, sous réserve que le chemin ne subisse pas d’éboulements. C’est long : 7 à 9 jours ! Et sportif (trek, camping). Mais vous passez par des paysages somptueux et quelques sites archéologiques qui valent le détour. .

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